- VAUX-LE-VICOMTE (CHÂTEAU DE)
- VAUX-LE-VICOMTE (CHÂTEAU DE)VAUX-LE-VICOMTE CHÂTEAU DETrois villages déplacés, d’énormes travaux de déboisement et de terrassement, des milliers de maçons, d’artisans, de jardiniers (18 000, dit-on, à certaines périodes, et un hôpital fondé pour eux à Maincy par Fouquet), cinq années d’activité fiévreuse (avril 1656-septembre 1661), trois maîtres d’œuvre rivalisant de génie inventif, Le Vau l’architecte, Le Brun le peintre-décorateur, Le Nôtre le paysagiste, la collaboration des plus grands sculpteurs du moment, Girardon, Lespagnandelle, Michel Anguier, Poissant; Nicolas Poussin, au faîte de sa gloire romaine, sollicité d’envoyer des dessins de termes; une fabrique de tapisserie créée presque pour la circonstance et qui, transférée à Paris par Colbert, deviendra les Gobelins; le «magicien» Torelli exerçant son art dans les jardins, jeux d’eau et feux d’artifice: voilà ce qui fait de l’entreprise du surintendant Nicolas Fouquet une entreprise unique, royale, et du domaine de Vaux un séjour enchanté, célébré par Madeleine de Scudéry et La Fontaine avec l’enthousiasme et la ferveur que l’on sait. Où trouver dans le royaume plus grande concentration de merveilles? À Versailles, peut-être, mais Versailles réunira les mêmes noms, et Vaux a dix ans d’avance. C’est un «Versailles anticipé» (Bernard Teyssèdre) et c’est là que, d’abord, s’est affirmé l’art classique français dans sa totalité.Un site privilégié: la forêt, les eaux vives de l’Anqueuil, des pentes harmonieuses. Mais la science infaillible de Le Nôtre y ajoute encore: perspectives, illusions d’optique, tapis verts, parterres de broderie, terrasses, bassins, «grilles d’eau», cascades et grottes. Et partout des vases, des termes et des statues: à Vaux, pour la première fois en France à ce degré, la sculpture est associée à l’art des jardins.Posé sur un socle entouré de douves, le château surgit au milieu de ces vastes perspectives: il ne s’intègre pas au site, à la façon des villas italiennes, il le domine, orgueilleusement isolé, précédé d’une immense avant-cour et d’une cour bordée de terrasses. Communs, de brique et de pierre, tenus à distance très respectable. Le château lui-même est de pierre. À la façade nord, côté cour, contrastes, décrochements, deux pavillons d’angle en forte saillie et un péristyle central en retrait. La diversité des toitures ajoute encore à l’impression de mouvement. Tout au contraire, la façade sud frappe par son unité, son rythme solennel et calme. Plus de ressauts ni de décrochements, mais seulement l’avancée de la salle en rotonde: la ligne des toits s’assagit: les deux pavillons d’angle, scandés de beaux pilastres colossaux, équilibrent fermement une composition dominée par la masse du dôme central. Abondante décoration sur les deux façades. Le portique d’entrée, par la profusion de ses ornements, est caractéristique du goût baroque de Le Vau, plus porté à l’expression forte qu’à l’harmonie.À cause de la puissance du dôme, certains ont pu être sensibles à une disproportion (Gurlitt), à un manque de charme et même de goût (Lemonnier); on a pu y déceler de la lourdeur (Lavedan), voire de la laideur (Blomfield). Il reste que c’est bien là que l’architecte a fait preuve d’un génie créateur d’une saisissante audace. «Le Vau y réalise l’idée suprême de l’époque de Louis XIV: un parti règne absolument sur les autres et les subordonnées sont reliées fermement et visiblement à la dominante. Le Vau avait établi les objectifs et les limites du style baroque» (Kaufmann). Le dôme, affirmation de puissance, réservé à l’architecture religieuse, Le Vau ne craint pas d’en coiffer, avec quelle autorité, la demeure d’un ministre. Un roi pouvait en prendre ombrage. Le plan lui-même du château en est tributaire: la forme ovale du salon crée un axe transversal très fortement marqué qui contrebalance l’axe central et organise l’espace: c’est par rapport à lui que se répartissent les pièces, réunies par une enfilade. Autres traits notables: l’épaisseur du corps de logis, qui comporte deux séries parallèles de pièces (comparer avec la minceur de Maisons) et l’absence d’escalier d’honneur, due au fait que les pièces de réception sont au rez-de-chaussée.Le Brun a régné en maître sur le décor: il a dirigé le travail des peintres, des doreurs et des stucateurs; il a donné les cartons des tapisseries tissées à Maincy; il a fourni des dessins de meubles et de statues; il a conçu le programme des peintures allégoriques et exécuté lui-même les principales: L’Apothéose d’Hercule , Le Triomphe de la Fidélité , Le Temps enlevant au ciel la Vérité , La Nuit , Le Sommeil . Deux pièces méritent une attention particulière: la chambre du roi, préfiguration de la décoration versaillaise, et surtout le grand salon ovale à l’italienne, aux dimensions impressionnantes (dix-huit mètres de hauteur et autant de longueur), aux murs percés de seize grandes arcades et, au-dessus, d’autant de grandes fenêtres carrées. Entre les arcades, des pilastres composites, entre les fenêtres, des termes-cariatides; au linteau, à la base de la coupole, trophées, guirlandes, animaux (parmi lesquels l’écureuil, emblème de Fouquet) forment une couronne vigoureusement sculptée. La coupole elle-même devait recevoir une peinture représentant le palais du Soleil, qui ne fut pas exécutée, mais dont les dessins ont été conservés. Marbres et dorures devaient revêtir les murs. En septembre 1661, l’arrestation du surintendant vint interrompre le programme. Le règne de Versailles allait commencer.
Encyclopédie Universelle. 2012.